Médias sociaux, politique et société
Introduction
La démocratie a apporté beaucoup à l’humanité. C’est en
partie grâce à elle que nous vivons, en occident, une époque de prospérité et
de stabilité qui contraste avec les moments les plus sombres de notre histoire.
Si notre société a bien sûr vécu des hauts et des bas, il va sans dire que nous
vivons présentement une période de tensions politiques et de polarisation comme
nous l’avons rarement vu. C’est dans cette optique que nous écrivons cet
essai : il est de notre avis que l’avènement des réseaux sociaux ont joué
un rôle important dans les divisions que nous observons dans notre société.
Bien que le Québec ne soit pas épargné par cette tendance qui touche la plupart
des pays occidentaux, nous ferons souvent référence au contexte politique
américain pour illustrer notre propos.
Ce travail est divisé en 4 parties : nous allons tout
d’abord décrire le contexte et les concepts qui se rapportent à ces changements
sociaux; nous allons ensuite décrire les tendances actuelles en utilisant des
exemples concrets; puis nous allons essayer de comprendre les forces qui se
cachent derrière ces tendances; et, pour finir, nous allons spéculer sur l’avenir
des réseaux sociaux et de leurs conséquences sur la société.
Contexte et concepts
Nous sommes en 2023; il est bien rare lorsqu’une semaine ne
se passe sans qu’il y ait une nouvelle controverse qui chamboule les médias
sociaux. Les médias sociaux sur le web ne sont pas nouveaux dans notre vie,
mais ils ne sont pas si anciens non plus. Facebook a été inventé en 2004 et
n’est devenu accessible au grand public qu’en 2006 [1]. Facebook a eu des
prédécesseurs, mais aucun n’a eu l’impact que Facebook a eu. Depuis 2006, donc,
les médias sociaux sur le web sont devenus de plus en plus omniprésents dans
nos vies.
Au premier abord, on pourrait pu croire que les médias
sociaux allaient rapprocher les gens. En se servant de cette technologie qu’est
Internet, les différents individus qui composent la société ont plus
d’opportunités de connecter avec les autres, avec les gens qu’ils connaissent déjà
comme avec des étrangers. Il semble que c’est plutôt l’opposé qui se produit. Ce
dont je parle, c’est du phénomène que l’on appelle « chambre à écho »
(echo chamber). Les médias sociaux, dans leur forme actuelle, ont plutôt pour
effet de rapprocher les personnes qui pensent de manière similaire et de
limiter l’exposition aux idées différentes [2]. Les individus s’enferment ainsi
dans une chambre à écho, où ils communiqueront essentiellement avec des
individus qui pensent comme eux et qui consommeront seulement du contenu qui va
leur plaire. Ce phénomène a souvent pour conséquence d’amplifier les
différences et de radicaliser les individus qui appartiennent à ces communautés
[3].
La monté fulgurante des médias sociaux est aussi corrélée
avec la crise de confiance que traverse les médias traditionnels aujourd’hui. Pire
encore, il semble que la pandémie de COVID-19 a accéléré cette chute. En effet,
si 43% des Canadiens croyaient en l’indépendance des médias face au politique
en 2016, ils n’étaient plus que 27% à penser de même en 2022 [4]. Aux
États-Unis, les jeunes de moins de 30 ans font presque aussi confiance à
l’information qu’ils trouvent sur les médias sociaux (50%) que ceux des grands
médias de nouvelles (56%) [5]. Grâce aux médias sociaux, nous n’avons plus
besoin d’être un journaliste et d’être endossé par un journal ou une station de
télévision pour être entendu : n’importe qui avec une connexion internet
peut partager des « nouvelles » avec le reste du monde. Une énorme
quantité de fausse nouvelles sont relayées chaque jour sur Facebook, Twitter,
Reddit et bien d’autres plateformes.
Tendances actuelles et exemples
Nous avons parlé, jusqu’à présent, des chambres à écho et de
désinformation, mais de quelle manière ces phénomènes se présentent-ils
concrètement ? Les médias sociaux ont joué un rôle important dans certains des
mouvements sociaux dont nous avons été témoin au Québec dans les 15 dernière
années. On pourrait fournir, en guise d’exemple, le cas des manifestations
étudiantes de 2012 lorsque le gouvernement Charest a voulu augmenter les frais
de scolarité. Martine Desjardins, ancienne présidente de la Fédération
universitaire du Québec (FEUQ) voyaient en les médias sociaux une courroie de
transmission de l’information efficace pour communiquer avec les membres. Non
seulement les associations étudiantes se sont servi des médias sociaux pour se
coordonner, mais ils s’en sont aussi servis pour essayer de convaincre [6].
La grève étudiante de 2012 a été un évènement polarisant,
mais pas nécessairement à cause des médias sociaux. On ne peut pas en dire
autant de la part d’autres phénomènes, dont celui ayant mené à la création de
la Meute en 2015. La Meute était une organisation frayant avec l’extrême-droite
et a organisé quelques manifestions contre l’immigration en 2017-2018. La Meute
avait réussi à gagner un grand auditoire sur les médias sociaux. Il est estimé
que la Meute avait près de 41 000 membres sur sa page Facebook en avril
2018 [7]. Cette organisation, reconnue pour ses idées extrêmes, avait réussi à
créer une communauté où les acteurs avaient un fort sentiment d’appartenance
envers le groupe. La meute a été une organisation éphémère, mais une autre a
pris le relais : les Farfadaas, un autre groupe d’extrême-droite fondé par
un ancien de la Meute, Steeve Charland. Les Farfadaas s’opposaient
principalement aux mesures sanitaires lors de la pandémie. Certains membres ont
dénoncé les pratiques carrément sectaires du leader de l’organisation [8].
Comme nous l’avons mentionné un peu plus tôt, le Québec vit
sa part de polarisation par les temps qui courent, mais cette situation n’est
rien à comparer avec ce qui se passe aux États-Unis. Vous l’aurez deviné,
Donald Trump a certainement eu un grand rôle à y joué. L’ancien président est
reconnu pour ses positions controversées, mais aussi pour son utilisation des
médias sociaux et l’influence qu’il y a encore aujourd’hui. Il est facile
d’argumenter que Trump a contribué à radicaliser une bonne partie de
l’électorat américain avec sa rhétorique belliqueuse et sans compromis face à
ses adversaires. Trump a réussi, jusqu’à son bannissement en 2021, à utiliser
Twitter afin de contrôler l’agenda médiatique du jour. Grâce à Twitter, Trump
pouvait rejoindre des millions de personnes (plus de 88 millions de
« followers » sur Twitter en date de janvier 2021 [9]) sans avoir à
passer par les médias traditionnels. Il va sans dire que Trump a utilisé
Twitter pour y diffuser une quantité incroyable de désinformation.
Donald Trump a aussi exercé une influence indirecte sur les
médias sociaux. De nombreuses communautés en ligne se sont formée autour de
Donald Trump, de ses positions et de ce qu’il incarne. La plus connue de ces
communautés est sans contredit r/TheDonald, un subreddit dédié aux fanatiques
de Trump. Le subreddit a été banni en 2020 à cause du contenu raciste, mysogyne
et homophobe – entre autres – qui y circulait, brisant ainsi les règles de
Reddit [10]. Le forum est revenu en ligne indépendamment et a, depuis, changé
de nom pour patriots.win. Ce forum est, encore aujourd’hui, un repère
d’extrémistes de droite qui laisse tout passer sous le couvert de la liberté
d’expression. Un véritable culte de la personne est voué envers l’ancien
président et c’est cette caractéristique qui définit l’élément principal de
l’identité des individus qui participent à cette plateforme. Ce culte de la
personnalité est allé encore plus loin chez une autre communauté, celle qu’on
appelle Qanon. Les partisans de Qanon sont persuadés que les États-Unis sont
dirigés par une cabale pédo-sataniste dirigée par les démocrates [11]. Ces gens
voient un Trump un sauveur et le vénère de façon presque spirituelle.
Ce n’est pas seulement qu’à droite qu’il y a des dérapages
et de la radicalisation. Je pense notamment au cas de J.K. Rowling par exemple.
Rowling aurait tenu des propos controversés sur les transgenre, selon ses
détracteurs, et une véritable campagne de boycott s’est formée sur le web à son
égard. On peut penser, notamment, au jeu « Hogwart’s Legacy » sorti dernièrement.
Puisqu’il s’agit d’un jeu vidéo se déroulant dans l’univers d’Harry Potter,
création de Rowling, de nombreux activistes ont appelé au boycott du jeu. Le
boycott s’avèrera être un échec [12]. Cette controverse aurait peut-être pu
avoir lieu même sans la présence des médias sociaux, mais il est de mon avis
que les médias sociaux ont grandement amplifié la controverse et que la
présence de chambre à écho encourage les militants pro-trans à se radicaliser.
Idéologie et politique
Nous venons de voir quelques exemples de communautés en
ligne ou de mouvements sur le web qui démontrent des signes de radicalisation,
mais quelles sont les idéologies qui se mènent un combat acharné sur Internet ?
Quelles sont les conséquences au niveau politique ? Nous avons discuté du rôle
de Donald Trump dans la radicalisation de la droite aux États-Unis – et dans le
reste du monde par le fait même. Trump n’a pas inventé le populisme de droite, idéologie
déjà en vogue avant son arrivée avec le mouvement Tea Party. Trump a tout de
même réussi a créer un mouvement de masse qui transcende les frontières, un
mouvement très présent en ligne, sur les médias sociaux. Ceux-ci peuvent se
trouver sur des plateformes qui leur est plus favorable, comme patriots.win ou
4chan, par exemple, mais aussi sur les médias sociaux plus grand public, comme
Facebook. Ce mouvement pro-Trump est définitivement de droite, conservateur, extrêmement
nationaliste, très sceptique et anti-establishment. Curieusement, pour un
mouvement qui craint le gouvernement, celui-ci présente des idées proches de l’autoritarisme
[13]. De plus, la pandémie est venue renforcer les croyances du groupe. L’imposition
de mesure sanitaire venue d’en haut (du gouvernement) a été très mal accueillie
par ce mouvement. Trumpisme et conspirationnisme vont souvent de pair.
D’un autre côté, à gauche, nous avons un autre mouvement
politique. Ce mouvement est souvent appelé « woke » par ses
détracteurs. Les mouvements ultra-militants qui envahisse le web – que ce soient
les militants pro-trans, anti-grossophobie, antiracistes ou autre du même
acabit – sont souvent d’inspiration postmoderniste : on y décerne une
certaine apologie de la subjectivité, du « ressenti » des personnes
marginalisées, et ils sont extrêmement sensibles aux relations de pouvoir dans
les groupes et dans la société. Il y a, chez les militants « wokes »
les plus fanatiques du web, une tendance à vouloir censurer ce qui lui semble
problématique. On parle alors de cancel culture. Le boycott de J.K. Rowling,
que nous avons nommé précédemment, en est un exemple.
Ce qui me semble assez particulier dans cette situation, c’est
que si ces deux extrêmes ont des idées qui se situent aux antipodes, ils
semblent y avoir des ressemblances troublantes entre les deux. Ces deux
mouvements démontrent un rejet certain de l’objectivisme : à l’extrême
droite comme à l’extrême gauche, on ne peut plus s’entendre sur ce que
constituent les faits. La gauche « woke », par l’infiltration d’un
postmodernisme propre aux campus américains, et la droite, sous l’influence du trumpisme,
semblent définir la réalité à partir des interprétations subjectives des individus.
Les trumpistes nous ont démontré leur appétit pour les « faits alternatifs »
[14] et les théories conspirationnistes. Les « wokes », qui analysent
les relations de pouvoir en fonction du ressenti des individus, ne sont pas non
plus à l’abri de la désinformation et de la pensé en silo. Les médias sociaux
ont joué un rôle important dans la diffusion de ces idéologies. Ignacio Ramonet,
sur la crise de confiance que traverse les médias traditionnels, argumentait
que le goût de subjectivité des lecteurs encourageait la consommation d’information
sur les blogs [15]. Je suis d’avis que les médias sociaux encouragent cette
vision subjectiviste du monde. Grâce aux algorithmes utilisés par les médias
sociaux pour garder les utilisateurs sur leur service (et augmenter leurs
profits), les gens ne sont plus habitué à être confronté dans leurs idées.
Pire, ils ne veulent pas voir ce qui les contrarieraient, ils veulent voir ce
qui les conforte dans leurs idées. La réalité doit s’ajuster à leur vision.
Projection
Nous allons, dans cette section, essayer de nous projeter
dans l’avenir et de spéculer sur l’avenir des tendances que nous observons sur
les conséquences des médias sociaux sur la politique et sur la société en
général. À quoi ressemblera le portrait dans 1 an ? Dans 5 ans ? Ou même dans
20 ans ? À court terme, dans un an, je ne crois pas que ces tendances auront
beaucoup changées. En fait, je crois qu’elles risquent même d’empirer un peu.
Dans 1 an, ce sera le début de la campagne présidentielle aux États-Unis. Internet
devrait alors être en ébullition. La campagne va se mener en parti sur le web,
sur les médias sociaux. Il semble fort probable que Donald Trump participera à
ces élections et nous connaissons déjà l’influence que Trump a eu sur Internet.
Je prévois que les chambres à écho pro et anti Trump continuent de foisonner et
que le dialogue de sourd entre les deux camps continue de pulluler sur les
médias sociaux. Les ennemis des États-Unis voudront sûrement se mettre de la
partie. Nous savons qu’en 2016 et en 2020 les Russes ont essayé d’influencer
les élections américaines en tentant de polariser encore plus l’électorat en
utilisant, entre autres, des trolls sur les médias sociaux [16].
À moyen terme, dans 5 ans, il est plus difficile de prévoir
si ces tendances se maintiendront. À mon avis, la situation ne sera pas
vraiment différente. La confiance envers les médias traditionnels sont en chute
libre et les grandes compagnies de technologie ont de plus en plus de pouvoir;
je doute que la situation se renverse dans les 5 prochaines années à moins d’un
évènement majeur qui détournera la population des médias sociaux. Les grands
médias sociaux, pour faire de l’argent, doivent convaincre l’utilisateur de rester
sur leur média grâce à leur algorithme. Je doute que les médias sociaux
revoient leur modèle d’affaire pour corriger des problèmes sociaux. Ces grandes
compagnies ne vont pas cracher sur l’énorme pouvoir qu’ils détiennent.
À long terme, dans 20 ans, la situation pourrait être
complètement différente. Il est hasardeux de se prononcer sur un avenir aussi
éloigné. Comme nous l’avons souligné au début de ce texte, les médias sociaux
modernes, depuis Facebook, n’existent pas depuis longtemps, depuis moins de 20
ans. Peut-être aurons-nous trouvé une autre façon de communiquer entre nous ? J’espère
fortement que la recette actuelle change; il faut commencer à essayer de
comprendre l’autre, à essayer de comprendre ceux qui ne pensent pas comme nous.
Si la situation ne change pas, je prévois alors que la société sera encore plus
divisée qu’aujourd’hui. La société ne sera plus une entité en tant que telle,
mais une collection d’individus qui vivent les uns à côté des autres sans être
capable de se reconnaître entre eux s’ils ne partagent pas les mêmes idées.
Conclusion
Dans cet essai nous avons essayé de décrire en quoi les
médias sociaux, dans leur forme actuelle, contribuent à la polarisation
politique dans notre société. Pour ce faire, nous avons, premièrement, décrit
le contexte et les concepts auxquels nous faisons référence dans ce texte, notamment
ceux de la chambre à écho et de la perte de confiance envers les médias
traditionnels; nous avons exploré les tendances actuelles à l’aide d’exemples
concrets, comme Qanon et le mouvement de boycott envers J.K. Rowling; nous
avons discuté des idéologies qui se cachent derrière les mouvements radicaux
sur les médias sociaux, un combat entre conservateurs et postmodernistes; et, finalement,
nous avons essayé de nous projeter dans l’avenir pour déterminer si les
tendances que nous observons aujourd’hui se reproduiront dans le futur.
À la lecture de cet essai, nous aurez sans doute senti que je
suis un peu pessimiste face à la situation actuelle et à ce que l’avenir nous
réserve. Je ne crois pas que les médias sociaux en tant que tel sont néfaste; c’est
l’interaction entre les mécanismes en place et le fonctionnement de l’être
humain dans son ensemble qui crée un problème. Je suis un millénial, j’ai
grandi avec Internet; j’ai été un témoin des différents phénomènes sociaux qui
s’y sont produit. Dans l’ensemble, je crois encore aux promesses des nouvelles
technologies, je crois qu’elles ont la possibilité de rendre notre monde
meilleur. Par contre, je n'aime vraiment la direction dans laquelle les médias
sociaux nous amènent présentement. Je suis tout de même un rêveur, j’ai espoir
que l’humanité puisse un jour connecter véritablement.
[1] https://www.britannica.com/topic/Facebook
[2] https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2023301118
p.1
[3] Ibid.
p.1-2
[4] https://theconversation.com/canadians-trust-in-the-news-media-hits-a-new-low-184302
[6] https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/556272/etudiants-reseaux-sociaux
[7] https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Meute_(groupe)
[9] https://www.dw.com/en/donald-trump-loses-social-media-megaphone/a-56158414
[10] https://www.washingtonpost.com/technology/2021/02/05/why-thedonald-moderator-left/
[11] https://www.nytimes.com/article/what-is-qanon.html
[13] https://www.opendemocracy.net/en/trumpism-ideology-extreme-far-right-globally/
[14] https://www.cnn.com/2017/01/22/politics/kellyanne-conway-alternative-facts/index.html
[15] https://www.monde-diplomatique.fr/2005/01/RAMONET/11796
[16] https://www.sipa.columbia.edu/news/study-confirms-influence-russian-internet-trolls-2016-election
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